mercredi 11 juillet 2012
The Great Happiness Space
Parlant d'Osaka et de ses hosts, l'occasion me semble propice pour évoquer le documentaire The Great Happiness Space, une plongée au cœur de l'industrie des bars à hôtes. Parmi la centaine existant à Osaka, le reportage (datant de 2006) se concentre plus spécifiquement sur l'un de ceux censés être les plus populaires, le Rakkyo, et sur son patron, le charismatique Issei.
D'une description d'un monde de la nuit fêtard et candide, où de jeunes hôtes sophistiqués distraient des jeunes femmes aux poches pleines, on découvre petit à petit l'envers du décor et la triste, voire poignante, réalité cachée par cette recherche effrénée du plaisir. Face à la caméra, Issei et ses collaborateurs décrivent ainsi en détails le troc réalisé entre leurs clientes et eux. En échange de leurs économies, celles-ci achètent quelques heures durant lesquelles de beaux et jeunes mâles vont s'évertuer à les séduire, à les divertir, à écouter leurs confidences, à les traiter en princesses... et à leur soutirer un maximum d'argent. Le mécanisme commercial - notamment l'assimilation de l'affection d'une femme pour son host aux sommes qu'elle dépense ou la concurrence stimulée entre les clientes - est clairement décrypté. Clientes et hosts ne semblent d'ailleurs pas dupes de l'imposture plus ou moins grande des sentiments, mais s'abandonnent au plaisir de ce jeu de rôles. En ces lieux, l'excès règne en maître: il faut jouir de chaque seconde chèrement payée.
Pour le téléspectateur, à cet instant du reportage, les sentiments balanceront surement entre la compréhension des vertus cathartiques de ces nuits folles et une interrogation sur le manque affectif de ces femmes. L'homme japonais n'est pas réputé pour son romantisme - hormis dans les dramas, ce qui expliqueraient d'ailleurs leur succès - et, de ce qu'on nous donne à en voir, l'image de la Japonaise est plus souvent associée à celle de la discrète intendante que de la princesse à son balcon. Il aurait d'ailleurs été pertinent que le reportage situe cette industrie des sentiments falsifiés dans le contexte plus général des rapports hommes-femmes au Japon. La caméra concentrée sur le spectaculaire de son sujet, l'absence d'une mise en perspective me semble problématique pour qui ne s'est pas documenté par ailleurs sur ce thème.
Peu à peu, un certain malaise gagne tant la frontière semble floue entre sentiments fictifs et réels. Monnayer l'amour ne va pas sans risques: certaines clientes voudraient tellement voir le rêve de quelques heures devenir réalité; les hosts eux-mêmes éprouvent parfois des remords sur les conséquences de leurs constants mensonges, d'autant plus quand ils ont conscience des extrémités auxquelles recourent certaines de leurs clientes pour se payer leurs faveurs. C'est d'ailleurs là que réside le grand tournant de ce reportage, avec la découverte des activités des femmes ayant accepté de témoigner face à la caméra.
Dans mon cas, le malaise a alors laissé place à la tristesse. Quel paradoxe que le titre de ce documentaire! Bien évidemment, il faut garder à l'esprit que le reportage s'est probablement focalisé sur des cas spectaculaires ou que seules ont accepté de témoigner des femmes moins "ordinaires" que les clientes de passage. Se dévoile cependant tout un cercle vicieux au sein de cette société parallèle, livrant la clé d'un drame profondément humain et donc touchant. Plus que les excès dévoilés - notamment sur l'alcool, les sommes dépensées, etc. - plus que l'affection monnayée comme un vulgaire service, plus encore que le sexe tarifé, c'est l'humanité brisée de ces clientes qui marquera la mémoire des spectateurs de The Great Happiness Space avec une émotion teintée d'amertume.
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Official Site
The Great Happiness Space with English subs
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