J'avais lu quelques écrits sur le phénomène nippon des "freeters", ces jeunes actifs refusant, parfois temporairement seulement, de s'inscrire dans le système professionnel régissant la vie de leurs pères et vivant ainsi de petits boulots suffisant à financer leurs centres d'intérêt. Curieux de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette situation, je me suis frotté les mains à l'idée de voir un drama sur ce sujet, dut-il avoir Ninomiya Kazunari en tête d'affiche. Pour ce qui est du phénomène "freeter", j'en fus en bonne partie, pour mes frais. Mais dans le même temps, ce drama a abordé quelques sujets suffisamment intéressants pour poursuivre cette série jusqu'à son terme.
Take Seiji, frais émoulu de l'université, ne cache pas son incrédulité devant un certain nombre de règles implicites de la vie en entreprise au Japon, que ce soit la déférence obséquieuse envers la hiérarchie, les étranges séances de "team building", ou les interminables pots de fin de journée. Au bout de trois petits mois, il démissionne donc mais ne parvient pas à retrouver un travail stable et doit donc se contenter de petits boulots. En conflit ouvert avec un père autoritaire et méprisant, Seiji traîne son spleen en laissant sa mère pourvoir à ses besoins, jusqu'à ce que celle-ci ne se trouve plus en état de le faire, le plaçant ainsi dans l'obligation de réagir. Après quelques essais malheureux, il se retrouve sur un chantier autoroutier à transporter des brouettes de cailloux ou étaler du bitume fumant et y fait la rencontre d'une jeune femme aussi déterminée que lui-même est indécis, sans idée ni ambition.
Ce bref résumé ouvre déjà la porte aux reproches puisqu'il présente un personnage qui fait partie des "freeters" les moins critiques de la société nippone,
id est ceux qui n'ont pas choisi leur statut. Seiji vit peut-être en "parasite" - le terme n'est pas de moi mais des sociologues japonais - chez ses parents sans s'en sentir vraiment gêné, mais cette situation n'est pas un choix délibéré. La meilleure preuve en est le temps passé à l'agence pour l'emploi afin de trouver un travail fixe à temps plein dans une entreprise de renom et, dans le même temps, son absence totale d'implication et de sérieux dans ses petits boulots successifs. Seiji est persuadé de valoir mieux que les petites tâches qui lui sont confiées et qu'il finira donc inévitablement par retrouver un emploi à sa mesure. Si les premières minutes de la série pouvaient laisser espérer une critique du système professionnel japonais, celle-ci se trouve vite effacée pour se contenter de faire de Seiji un fainéant n'ayant finalement pas volé sa situation. Autant donc pour le phénomène des "freeters" et la responsabilité du système quant à son éclosion et son fort développement, sachant qu'on en compterait aujourd'hui pas loin de 10 millions! La production aurait-elle craint de s'aliéner ses sponsors?...
Ainsi,
Freeter, Ie o Kau, en dépit de son titre, ne parle pas réellement des "freeters", mais préfère se pencher sur le difficile apprentissage de l'âge adulte par Seiji et les relations au sein de la cellule familiale. Le premier point faisant osciller le téléspectateur entre sentiment de déjà-vu et légère irritation devant le sempiternel triptyque "faute personnelle / intégration au collectif /
gambarimasu", on se penchera de préférence sur le second. Pour ce faire, il me faut passer en revue les différents protagonistes, en espérant qu'on me pardonnera ce procédé façon listing.
Le père, Take Seiichi, m'a beaucoup intéressé. Maître de maison tyrannique, il traite sa femme comme une servante et, puisqu'elle est la seule responsable de la maison en l'absence du mari, occupé à gagner l'argent du foyer, il lui reproche la conduite de son fils. Il peut d'autant moins faire preuve de compréhension vis-à-vis de celui-ci que le refus de Seiji s'apparente à une critique du système professionnel auquel lui-même a consacré toute sa vie, mais est également ressenti comme une terrible ingratitude envers des parents qui se sont évertués à l'élever pour en faire un bon petit Japonais.
Du fait de la répartition radicale, mais habituelle, des tâches entre un mari et sa femme, ce père de famille se trouve bien incapable de trouver quelle attitude adopter face aux difficultés à venir de son ménage. En vérité, sans trop en dévoiler, on découvre que le père vit également une situation professionnelle difficile et forcément traumatique eu égard à l'investissement de toute une vie au service de l'entreprise qui l'emploie. Ces éléments mis ensemble font de ce père, un personnage beaucoup moins caricatural que son comportement despotique laisse à croire au début de la série. Dans le même temps, sa fierté, mais également son absence du foyer, le rendent illisible pour ses propres enfants, créant un mur d'incompréhension au sein de la famille.
La mère, Take Sumiko, se trouvera, par la force des choses, limitée dans son rôle de femme au foyer typique, mais les évènements liés à ce personnage s'expriment d'eux-mêmes pour dévoiler la situation déplorable dans laquelle peuvent se retrouver ces femmes abandonnées à elles-mêmes. L'absence d'un mari qui se consacre pleinement à son emploi, l'oblige à porter seule le poids du foyer dans toutes ses facettes: éducation des enfants, tenue de la maison, voisinage...
La situation de la fille aînée, mariée au directeur d'une clinique, mère d'un petit garçon et tyrannisée par une belle-mère décidée à prendre en charge la formation de l'héritier du nom, est également intéressante. Les choix qu'elle doit faire pour l'éducation de son enfant trouvent un écho très bien vu dans la relation de la voisine des Take avec son propre fils, jeune avocat brillant mais peu charitable avec ses congénères humains et franchement vindicatif envers sa génitrice.
Ces quelques personnages, les situations auxquelles ils se trouvent confrontés, et ce qu'ils disent ainsi de la société japonaise, constituent le réel point d'intérêt de
Freeter, Ie o Kau. Le reste des intervenants, le scénario, l'histoire de l'héroïne, etc. n'offrent rien de bien original et je ne m'y attarderai donc pas sinon pour dire que l'ensemble du casting a joué fort honnêtement son rôle, Nino compris. Je dois avouer, pour l'anecdote, que j'ai quand même supplié le ciel à chaque épisode de m'épargner la vision d'un baiser entre la superbe Karina et le nain. Je laisse à chacun le soin dé vérifier si la prière constitue une ressource efficace dans ce genre de situation.
Que dire pour conclure sur cette série? Comme je pense l'avoir expliqué,
Freeter, Ie o Kau ne manque pas d'intérêt par l'éclairage qu'il offre sur la cellule familiale japonaise et les conséquences du modèle social japonais sur celle-ci. Pour autant, j'ai été quelque peu déçu de ne pas voir le drama aborder pleinement la problématique des "freeters" sinon pour en faire des adulescents en crise de croissance. Par ailleurs, aussi bien l'histoire de l’héroïne que les leçons de vie généreusement dispensées à Seiji sur son chantier m'ont plutôt fait bailler tant elles sentent le réchauffé. Tout cela est bien mignon et moralisateur comme il faut et je dois avouer que je sature un peu s'agissant de ces lieux communs. En conséquence de quoi, la note finale sera sans doute un peu dure, mais témoigne d'une déception à la hauteur de mon attente pour un grand drama de société, ce que
Freeter, Ie o Kau échoue à être.
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6/10 : That wasn’t too bad, I guess. But never worth a rewatch.Official SiteThe complete details about Freeter, Ie o Kau on drama-wikiFreeter, Ie o Kau with
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