En cette fin d'année 2012, l'un des principaux partis de France a décidé d'offrir ses divisions internes en spectacle. Malgré tout le cynisme qu'on peut avoir envers la scène politique, je ne peux m'empêcher d'être surpris par la (non-)réaction des commentateurs et autres experts qui semblent considérer comme le plus naturel du monde les fraudes, tricheries, manipulations et autres malversations, supposées ou avérées, qui agitent ce petit monde. Comme si tout cela faisait intrinsèquement partie de la vie politique et qu'il fallait bien être naïf pour attendre autre chose de ceux qui nous gouvernent (ou en ont l'ambition). Soit. Mais dès lors, comme s'étonner d'une désaffection et d'une méfiance des citoyens pour une classe dirigeante à laquelle on accorde de si vilains défauts? Cette question ne se pose pas qu'en France naturellement, et elle est l'objet-même de Change, un drama aux contours naïfs mais au contenu pas si neutre.
Diffusée en 2008, cette série précède donc les tragiques évènements de mars 2011, depuis lesquels le désamour vis-à-vis de la classe dirigeante semble avoir atteint des sommets. En effet, l'incapacité des dirigeants nippons à faire face à la crise, notamment concernant le relogement, les lourdeurs de l'administration, les promesses non-tenues voire les mensonges quant à la situation réelle du pays, ont conduit des citoyens et des personnalités de tous bords à tenir des discours extrêmement durs à l'égard du gouvernement. La thématique de Change demeure donc d'une brûlante actualité.
Il ne faut pour autant pas attendre de ce drama une dénonciation violente du fonctionnement d'un système politique, de toute façon régulièrement brocardé et qui assure une véritable rente de succès pour les scénaristes qui le mette en scène. Les séries s'attardant sur les coulisses du pouvoir, la corruption des politiciens, les coups de poignard dans le dos et les ambiances aussi traîtresses que feutrées sont légion. De ce point de vue, Change n'offre rien de bien neuf, voire pourrait être considéré comme un montage facile puisque la série ne propose, de prime abord, rien d'autre que de jeter un homme honnête et désintéressé dans la fosse aux lions. Censé être une marionnette aux mains de politiciens sans scrupule, si sa naïveté l'expose aux coups, sa droiture lui apporte des soutiens sincères et vient contrecarrer les plans des vieux briscards qui pensaient le manipuler. Un conte pour enfants? Sans doute par certains aspects, en particulier par l'avènement de cet étranger au système au poste de Premier ministre - pourquoi faire les choses à moitié? - et par l'idéalisation d'un gouvernant capable de s'attarder sur des problèmes "mineurs" quand on sait que les 24H d'une journée sont à peine suffisantes au moins important des ministres pour tenir toutes ses attributions. Bon nombre d'autres détails viennent entacher la crédibilité d'un tel scenario, mais peu importe, car l'essentiel doit, à mon avis, être trouvé ailleurs.
En premier lieu, le personnage d'Asakura Keita, précipité bien malgré lui dans l'arène politique, doit être considéré comme un fantasme - et je ne dis pas cela parce qu'il est interprété par Kimura Takuya. Il incarne un individu paré des qualités idéalisées de l'homme lambda japonais - intègre, vertueux, travailleur, minutieux, désintéressé, ayant du bon sens... - auquel on ajoute quelques traits propres à toucher les cœurs compatissants: Asakura est un peu rêveur, un peu maladroit, un peu naïf. Ce personnage, censément ordinaire et qui souhaite le rester, met ainsi d'autant plus en relief le dévoiement d'une classe politique amorale, avide et sclérosée. Le fossé entre les citoyens, représentés par Asakura Keita, et leurs dirigeants se révèle donc particulièrement visible.
Dans un second temps, le personnage joué par KimuTaku se pose en modèle de ce que les Japonais s'estiment en droit d'attendre de leurs dirigeants. On se doute bien que le mode de fonctionnement du Premier ministre de fiction et de son équipe n'est pas franchement transposable à la réalité, mais il s'agit ici plutôt de donner une direction, un idéal, peut-être pas à atteindre mais au moins à viser et certainement pas à oublier. Dans Change, plus que l'incompétence des dirigeants, c'est l'oubli de leurs devoirs et des attentes des citoyens qui est stigmatisé. L'intérêt public souffre d'un désir de pouvoir des politiciens devenu une fin en soi. Le personnage d'Asakura rappelle que ce qu'attend l'homme de la rue, c'est qu'on se penche sur ses problèmes concrets.
Enfin, et c'est là, sans le moindre doute, le point le plus important, Change remet le citoyen face à ses responsabilités. Dans une démocratie, où le pouvoir appartient donc au peuple, celui-ci ne doit pas oublier ses devoirs, notamment le choix de ses dirigeants. Dans un système social japonais héritier d'un féodalisme encore récent à l'échelle de l'histoire du pays - Asakura Keita ne se trouve-t-il pas lui-même propulsé au poste qu'il occupe parce qu'il est le fils d'un politicien? - la tentation est grande de remettre le poids de la responsabilité de la bonne marche du pays aux seuls dirigeants. C'est oublier que le peuple a, quant à lui, la responsabilité de choisir ceux qui le dirigent, de faire pression pour que ses préoccupations soient prises en compte et, s'il ne s'estime pas satisfait, non seulement de sanctionner ou de changer de dirigeants, mais également de s'investir dans la vie de la cité. Le monologue d'une durée record - jolie performance d'ailleurs - tenu par Asakura Keita lors du dernier épisode du drama se révèle ainsi comme un appel à la responsabilité du citoyen, et c'est notamment en cela que Change diffère des séries politiques habituelles et dévoile une certaine ambition.
A ces points intéressants, s'ajoutent quelques critiques complémentaires du système, plus courantes certes, mais qui participent à l'écho que Change donne de la désaffection des Japonais pour leurs élites. Parmi celles-ci, on relève la lourdeur de la bureaucratie et l'arrogance des technocrates qui y prolifèrent et n'hésitent pas à s'estimer plus compétents que les élus qu'ils sont censés servir. On note également, et dans un pays comme le Japon, tiraillé entre modernité et tradition, cela a son intérêt, que l'inertie liée aux habitudes est également montrée du doigt: le passé ne devrait en effet pas être un obstacle à l'initiative et aux changements.
Certes, tout cela fleure bon l'idéalisme et les aspects moralisateurs peuvent laisser dubitatifs. On pourrait, comme c'est mon cas, préférer un peu moins de candeur et plus de réalisme afin que la leçon porte mieux. Je doute, malheureusement, que la fraîcheur du personnage principal puisse dans les faits réellement toucher les élites qui s'agitent dans les ministères. Le choix de saupoudrer cette série d'éléments propres aux comédies prête également à discuter. Mais si tout cela, et d'autres choses encore, est avéré, il n'en demeure pas moins que Change est un divertissement sympathique et mérite sur le fond qu'on lui prête une attention qui ne se limite pas au 1er degré car, comme bien des dramas sur d'autres thèmes, il révèle un certain nombre d'éléments sur l'état d'esprit de la société japonaise. Et puis, il serait dommage de faire fi d'un fort bon casting, en tête de gondole duquel on retrouve les toujours excellents Kimura Takuya, Abe Hiroshi, Fukatsu Eri et bien d'autres - avec une mention spéciale pour Terao Akira (vu notamment dans Yasashii Jikan).
Bonus: Ending signé Madonna
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7/10 : At least worth checking out.
The complete details about Change on drama-wiki
Change with English subs