jeudi 17 novembre 2011

Soratobu Taiya

Enfin! Je l'ai longtemps cherchée, cette série japonaise à suspense qui me tiendrait en haleine de son premier à son dernier épisode, mais la voici! Son titre? Soratobu Taiya, un drama inspiré du double scandale impliquant le groupe Mitsubishi (cf. infra) qui frappa durablement la société japonaise et son rapport aux zaibatsu, fleurons et fierté du Japon.

Il est vrai que tous les éléments d'un authentique thriller se retrouvent dans cette affaire qui fut marquée par la mort d'une femme, en 2002, suite à un défaut de conception délibérément caché par le fabricant automobile. Le drama démarre d'ailleurs sur ce fait divers. Un camion, appartenant à une petite société de transport, perd l'une de ses roues dans un virage et celle-ci percute une piétonne et son enfant, provoquant le décès de la première. Aussitôt police, media et grand public pointent du doigt la responsabilité du transporteur, Akamatsu Transportation, d'autant plus que, suite à une expertise du constructeur, Hope Motors, il semble bien que le détachement de la roue soit le résultat d'un défaut de maintenance. Incroyable mais vrai: suite à un accident impliquant un de ses véhicules, c'est bel et bien le constructeur qui est mandaté par la police pour expertiser ledit véhicule et, par là, attribuer la responsabilité dudit accident. Cette présomption d’iniquité de la part d'un fabriquant, juge et partie, et surtout sa confiance à l'égard du professionnalisme de ses collaborateurs conduisent le président d'Akamatsu Transportation à se lancer dans une lutte, seul contre tous, pour laver l'honneur de son entreprise. Lutte démesurée que celle-ci, tant la petite société se heurte au gigantisme de son adversaire, à ses moyens, à ses relations avec le système bancaire, politique et médiatique. L'affrontement de David contre Goliath constitue une valeur sure pour s'attacher l'intérêt des téléspectateurs, mais encore faut-il qu'il soit bien mis en œuvre. C'est le cas de Soratobu Taiya, sans le moindre doute.

Bien que n'étant absolument pas expert en ce domaine, j'écrirai quelques mots sur la forme d'abord. La réalisation se rapproche du rythme des thrillers américains et l'histoire ne laisse pas le temps au téléspectateur de reprendre son souffle: les personnages complotent, les coups durs s'abattent sans prévenir, les séquences s'enchaînent. L'image, la musique, tout est ici à l'unisson. On se trouve ainsi happé par l'enchaînement des évènements, ce qui n'empêche cependant pas de bien suivre les tenants et les aboutissants des différentes manœuvres en cours. En l'espèce, il s'agit surtout de suivre les efforts désespérés d'Akamatsu face à une société civile qui se montre solidaire dans sa condamnation du fautif désigné. Ainsi, non seulement Akamatsu Transportation est livrée en pâture aux media et poursuivie en justice par l'époux de la victime, mais elle semble condamnée en conséquence à perdre ses clients, ses profits, ses employés... il n'est jusqu'à la famille du président de la compagnie qui se trouve victime des calomnies et des mauvais coups portés par le voisinage. La machine à broyer, injuste et terrifiante, est en place. On notera également que le transporteur sera littéralement pris à la gorge par sa banque, appartenant au même conglomérat que le constructeur. Vous avez pensé: "collusion"?

Tous les moyens sont en effet bons pour museler la petite société et Hope Motors ne se prive pas d'en user: blocage des appels, accusations et dénégations, refus de communiquer les conclusions des expertises ou de rendre la pièce de véhicule responsable de la perte de la roue, tentative de corruption, chantage voilée par la filière bancaire, pression par le budget publicitaire sur les media tentés de s'intéresser à l'affaire... L'enjeu est crucial pour le géant automobile qui craint le coût financier et en termes d'image d'un rappel de ses véhicules, d'autant plus qu'il est au même moment à la recherche de capitaux pour redresser une situation économique menacée.

Pour autant, Soratobu Taiya, même s'il valorise le courage du petit transporteur, tente d'éviter tout manichéisme pour faire de "Goliath" une entité plus grise que noire. Ainsi, les motivations du président d'Hope Motors se veulent pragmatiques et fondées sur l'intérêt global du conglomérat et de ses employés. En parallèle, au sein même de l'entreprise, des salariés s'interrogent sur la réalité de faits connus d'une unique poignée de responsables, mais également de l'intérêt à long terme d'une compagnie qu'ils ne se résignent pas à voir perdre ses valeurs d'honnêteté et de fiabilité qui font la fierté des entreprises japonaises et sont le support indispensable de la relation de confiance créée avec le consommateur. On relève quand même l'ambiance feutrée, secrète et embarrassée qui entoure ces rebelles en herbe et témoigne de la gêne viscérale du salarié nippon à s'opposer à son employeur, fut-ce pour les meilleures raisons du monde.

Le scenario est porté par une excellente distribution qu'il sera difficile de citer dans son ensemble, bien que rôles principaux et secondaires soient tous interprétés avec justesse. On ne peut que compatir aux malheurs qui s'abattent sur le président d'Akamatsu Transportation (Nakamura Toru, vu peu avant dans un autre grand Business Drama, Karei naru Ichizoku) et sur les siens, famille comme employés. La même compréhension s'étend aux salariés du groupe Hope, Sawada (Tanabe Seiichi) et Isaki (Hagiwara Masato), partagés entre fidélité à leur hiérarchie, intérêt de l'entreprise et sens de la justice. Face à eux, la real politik menée par les dirigeants de ces entreprises géantes est parfaitement incarnée par Kano (Kunimura Jun), président d'Hope Motors. On note d'ailleurs que les scénaristes ont tenu à ne pas céder à la facilité de la déshumanisation en lui adjoignant une nièce, Kaori (Mimura), qui ne voit en lui qu'un père de substitution, protecteur et aimant. On peut ajouter à cette liste l'inspecteur de police (Endo Kenichi, vu dans Shiroi Haru), écrasé par une pression qui l'invite à se concentrer sur Akamatsu Transportation plutôt que de subir les conséquences d'une enquête à l'encontre du géant automobile, la journaliste Enomoto (Mizuno Miki) qui tente de lever le voile sur les pratiques d'Hope Motors, et bien d'autres encore.

Intense et prenant, Soratobu Taiya mérite des louanges, pour tous les points déjà évoqués, mais également pour avoir osé se pencher sur un évènement récent qui a secoué la société japonaise. Il faut bien comprendre l'importance du contrat moral qui unit les entreprises nippones à leurs clients et qui se fonde sur l'excellence et la fiabilité de la production japonaise. Cette confiance est tellement ancrée dans la culture japonaise qu'il n'existe au Japon que peu de lois visant à protéger le consommateur des erreurs ou malversations dont il peut être victime. Elle est également une composante essentielle du lien étroit unissant l'employé à son entreprise et de son respect vis-à-vis des actes de sa hiérarchie. Soratobu Taiya s'attaque donc à l'un des fondements de la société japonaise, tout en tentant de montrer que des forces, fidèles aux valeurs traditionnelles qui font la réputation du Japon, existent en son sein et essayent de remettre les fautifs dans le droit chemin. Et tout cela, sans oublier les dommages humains collatéraux provoqués par ces machinations économiques. De la grande et belle ouvrage, assurément, et un drama qui se classe d'emblée comme un incontournable.


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9/10 : If you don’t watch this, you’ll regret it for the rest of your life.



Official Site
The complete details about Soratobu Taiya on drama-wiki
Soratobu Taiya with English subs


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Le scandale Mitsubishi

En 2000, le Japon découvre avec stupeur que Mitsubishi Motors, sous l'égide de son président, a dissimulé des défauts sur les véhicules sortis de ses chaînes de production. Bien que le géant automobile ne se prive pas de porter le blâme sur de supposés défauts de maintenance de la part des propriétaires, des centaines de milliers de voitures et camions doivent être rappelés aux usines.

Deux ans plus tard, une mère de famille est tuée par un pneu échappé d'un camion de la marque Mitsubishi. Alors qu'on aurait pu croire que le scandale précédent avait incité les responsables à régler le problème, les conclusions de l'enquête démontrent que le fabricant dissimulait sciemment les défauts de ses véhicules et exerçait des pressions sur les transporteurs pour cacher les incidents... depuis 1977! Déconsidérée et avec des ventes en chute libre, l'entreprise n'a du sa survie qu'à la puissance du conglomérat Mitsubishi dont elle fait partie. On relèvera cependant que les dirigeants n'écopèrent que de peines avec sursis et la compagnie elle-même échappa à toute sanction financière.

2 commentaires:

Livia a dit…

Soratobu Taiya est en effet une grande réussite ; je rejoins tous les louanges que tu lui adresses justement et partage ta (superbe) analyse ! La richesse de la série tient à sa faculté de mêler une approche humaine et sociale (le milieu de l'entreprise) et une construction qui s'apparente à un thriller et qui tient en effet en haleine du début à la fin. Elle aura été une bien belle découverte. Merci également de prendre le soin de replacer ces enjeux dans le contexte du scandale qui inspira cette série ; c'est assez rare de voir ainsi des dramas abordés frontalement ces thèmes.

Sinon, pour rebondir sur ton introduction, et la recherche de la série à suspense qui captive du début à la fin, dans un tout autre genre, qui démontre que malgré tout les japonais peuvent aussi réussir des thrillers, si ce n'est pas déjà visionné, je te conseille fortement de jeter un oeil à Gaiji Keisatsu. Elle investit le domaine de l'espionnage et reste à ce jour, à mes yeux, le seul dorama que j'ai pu voir à avoir réussi à traiter avec crédibilité cette thématique en sachant construire un vrai suspense. Là également on est tenu en haleine du début à la fin !

Asa a dit…

La richesse de la série tient à sa faculté de mêler une approche humaine et sociale (le milieu de l'entreprise) et une construction qui s'apparente à un thriller et qui tient en effet en haleine du début à la fin.

Ou comment trouver la phrase juste, pour dire ce que j'ai essayé d'exprimer au moyen d'une longue note. C'est exactement cela! Au-delà d'un excellent divertissement, c'est bien ce qu'il nous apprend du Japon, de sa culture et de sa société, qui rend Soratobu Taiya passionnant.

Merci beaucoup pour l'indication concernant Gaiji Keisatsu, que je note donc dans ma liste de séries à voir.